Renault Concepts
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Renaissance d'Alpine : le retour du fils prodigue...

 

Les trois arrières successifs des deux prototypes de l'A710 (projet W71).

Notre reconstitution de ce à quoi l'Alpine A710 aurait pu ressembler dans une version de série.

Une illustration d'artiste de la Z11 Berlinette pour une couverture de l'Auto-Journal.

Le concept-car Wind (ci-dessus) aurait pu déboucher sur un très joli modèle de série

 

 

Aujourd'hui que la marque Alpine est de retour, tant sur les circuits avec les A450 et A460, que dans nos rues avec la sortie de la toute nouvelle génération de Berlinette A110, il est intéressant de faire un retour sur trente années de projets avortés et de tentatives ratées de faire renaître la marque, ne serait-ce que pour honorer la persévérance de tous ceux qui ont cru au fil du temps qu'Alpine se devait d'exister.

Quand l'Alpine A610, dernière évolution du projet D50, fait son apparition à la fin des années 80, personne ne pense alors qu'il s'agira du dernier modèle de la marque de Dieppe, fondée par Jean Rédélé plus de trois décennies auparavant. Hélas, les faibles ventes du modèle ainsi que les difficultés financières de Renault ont mené à la conclusion qu'Alpine n'est plus une entreprise rentable. L'A610 tirera sa révérence en 1994, et avec elle le nom Alpine. Malgré la disparition du nom, l'usine et ses employés continueront de travailler sous le nom de Renault Sport (1).

Depuis lors, le possible retour de la marque Alpine (ou, à défaut, au moins du nom) a été une sorte d'Arlésienne automobile ressortant régulièrement dans les discussions de passionnés, sur internet et même dans les bureaux d'études du losange. Peu de marques ont autant alimenté les fantasmes, fait naître les espoirs et nourri les déceptions qu'Alpine l'a fait, au travers des multiples avatars de son éternel retour, chaque fois espéré, chaque fois avorté...

L'Alpine A710 et le Spider R.S.

En réalité, l'Alpine GTA et l'Alpine A610 qui en découle ne sont pas techniquement les dernières Alpine à exister avant l'abandon de la marque ; elles sont seulement les dernières à être produites. En effet, dès la fin des années 80, Alpine travaille d'arrache-pied à mettre au point une nouvelle génération de petits véhicules sportifs. Dans le cadre d'un projet désigné W71, deux prototypes différents dénommés Alpine A710 sont construits en 1989-90, différents car issus des projets de deux designers distincts (2). Cette stricte deux places, qui aura coûté pas moins de 600 millions de francs à développer, sera finalement abandonnée.

La plate-forme technique de l'A710 sera reprise sur le concept-car Z02 Laguna, puis servira ensuite de base au Spider R.S., une barquette survitaminée produite en série à Dieppe. Il s'en faudra de peu d'ailleurs pour qu'il porte la marque Alpine, mais il sera vite rebadgé après les premières esquisses. Le Spider ne sera commercialisé que de 1995 à 1997, et malgré ses indéniables qualités sportives, il ne restera qu'un véhicule de niche, produit en petite quantité sous la marque Renault Sport (3).

Le concept-car Z11 et le PCS Berlinette

La marque Renault Sport devient très active à partir de la seconde moitié des années 90 grâce au Spider, bien sûr, mais surtout au travers des versions sportives que l'usine de Dieppe produit sur base de Clio et de Mégane. Les performances de ces bolides (et notamment la Clio V6) redonnent à Renault une légitimité dans le sport automobile que la marque n'avait pas connu (en Europe en tout cas) depuis les années R5 Turbo. Bien entendu, pour beaucoup cela ne fait qu'entretenir un peu plus la nostalgie des Alpine à moteur V6 et la frustration de voir l'usine dieppoise produire autre chose que des Alpine.

Cette frustration, plusieurs la ressentent chez Renault également, et notamment Patrick Le Quément, en charge du design de la marque depuis 1989 et grand fan d'Alpine. Son rêve secret est de faire renaître la marque, et c'est dans cette optique qu'il prépare avec ses équipes un concept-car Berlinette R.S. (Z11), avec l'objectif d'une présentation au Mondial de Paris en septembre 2000. Le prototype est finalisé, mais la direction hésite encore. La présentation est repoussée au salon de Genève en mars 2001, mais après un second volte-face des décideurs, le projet est mis définitivement aux oubliettes et le concept-car remisé sans qu'aucune photo n'ait pu en être diffusée (4).

La frustration de Le Quément est d'autant plus grande qu'il préparait déjà, en partenariat avec Lotus Cars, un modèle de série découlant directement du Z11, le PCS Berlinette ("PCS" signifiant "Petit Coupé Sport"), projet assez avancé et qui se voit donc du même coup tué dans l'œuf.

La Wind et le Buggy R.S.

En 2004, Renault présente son concept-car Z16 Wind, qui reçoit un accueil très favorable. On laisse alors entendre quelque temps plus tard qu'une version de série serait à l'étude, directement inspiré du concept-car. En réalité, dès le mois de juin 2003, le groupe Ital design a obtenu un contrat de conception pour un petit véhicule sportif dont la production est prévue sur Dieppe, ce qui laisse donc penser que le concept-car Wind était dès le départ une préfiguration d'un modèle de série. Des rumeurs affirmeront même que le châssis du nouveau roadster pourrait bien être conçu chez Porsche et non chez Renault Sport !

Renault prévoit bien apparemment une Wind de série, mais développe aussi un modèle appelé en interne le Buggy R. S. Il s'agirait d'un coupé cross-over issu comme la Wind de la plateforme de la Clio et de la Modus, et c'est sur celui-ci que portent les premiers efforts. On parle même d'un modèle de série qui pourrait être commercialisé en mars 2006 (et serait suivi, donc, du roadster Renault Sport en 2007). Bien sûr, il n'est alors pas question de réintroduire de près ou de loin le nom Alpine, mais un coupé sportif dédié fabriqué à Dieppe serait sans aucun doute ce qu'il y a de plus proche d'une Berlinette, et tout projet industriel donnant du grain à moudre à Renault Sport est forcément bon pour l'avenir de l'usine mythique..

Si les projets Wind et Buggy se confondent dans l'esprit de pas mal d'observateurs, c'est parce que les deux sont développés en parallèle dans le cadre d'un avant-projet désigné W16, dont les versions de série seraient désignées D16 (buggy) et E16 (roadster) – si toutefois le programme arrive à la phase d'industrialisation. Hélas, le roadster Wind de série, ainsi que le Buggy R.S., seront abandonnés fin 2005 par Renault, pour des raisons tant techniques (mise en évidence de problèmes aux crash-tests) que de réorientation des priorités commerciales. Le roadster tant espéré ne verra donc jamais le jour.

Projets avortés et effets d'annonce

Même après l'abandon du projet W16, certaines sources autorisées continuent d'affirmer qu'il y aurait tout de même un roadster dans le plan produit 2006-2009, apparemment sur la base du cabriolet Nissan 350Z, avec une date initiale de livraison fixée à la fin 2008. D'autres sources décrivent un projet E15 comme un coupé-cabriolet à toit rétractable (ce qui rappelle le futur X33 Wind). Le code projet X21 est également cité comme désignant un petit cabriolet. Bien entendu, rien n'indique qu'il pourrait s'agir de produits badgés Alpine ni même émanant de Renault Sport.

Pourtant, c'est à cette époque qu'un énième retour d'Alpine est annoncé. L'information pourrait sembler farfelue si elle n'émanait de Patrick Pélata lui-même, alors Directeur Général Adjoint de Renault, lequel en fera état à au moins deux reprises. On sait par ailleurs que Patrick Le Quément, responsable du design du losange depuis maintenant deux décennies, a juré qu'il ne quitterait pas Renault sans avoir réalisé une Alpine.

Le projet W19

De toutes les possibles renaissances d'Alpine dans les années 20, le projet W19 a bien failli être la bonne. En collaboration avec Nissan, l'équipe Renault se penche sur ce projet en 2007, avec un objectif de commercialisation pour 2010. Cette fois, le châssis préféré est celui de la nouvelle Nissan 370Z et du coupé Infiniti G37 (ce qui conduira certains journalistes à baptiser la future Alpine la "A370"), et une maquette grandeur nature (de volumes plutôt généreux) est réalisée, à partir d'un design dû en grande partie à Jean-Philippe Texier. Les volumes et les courbes de la Berlinette originale ont servi de base au projet, et sa face avant en est également très inspirée, avec la nervure centrale sur le capot et les projecteurs ronds additionnels. Son seul défaut, selon Patrick Le Quément : "Le moteur était sur l'avant, en longitudinal, avec un long capot qui ne matchait pas vraiment avec une Alpine."

Avec le projet W19, il ne s'agit plus seulement de lancer un modèle badgé Renault qui porterait le nom Alpine, mais bien pour la première fois de relancer la marque elle-même, comme complémentaire de Renault Sport, mais indépendante, un peu comme Abarth pour Fiat. S'appuyant sur la renommée mondiale de Renault en Formule 1 et la crédibilité qu'elle apporterait, la marque envisage d'utiliser ce vecteur pour promouvoir le futur modèle. Mais hélas la crise mondiale en décidera autrement, et une fois de plus la renaissance d'Alpine, et la W19 avec elle, passeront aux oubliettes. Patrick Pélata décrira même la décision de ne pas ressusciter Alpine comme définitive.

Les Alpine des fans et des designers affolent la toile

Avec l'essor d'internet, les forums consacrés à l'automobile se multiplient. Sur beaucoup de forums, on discute d'Alpine et de son éternel retour. D'un côté il y a ceux qui ont la foi quoi qu'il arrive, et misent sur le retour de leur marque fétiche, et de l'autre tous les désabusés qui affirment non seulement qu'il n'y aura jamais de renaissance d'Alpine, mais qu'en plus ce ne serait même pas souhaitable car l'esprit de la marque n'y serait pas. Pourtant, quelques designers en herbe, futurs professionnels ou simples amateurs passionnés, vont continuer à alimenter le mythe, envers et contre tout. Il y a tout d'abord quelques projets de fans bien inspirés, qui parviennent à se distinguer au milieu du flot de photomontages maladroits, hideux ou improbables, Par exemple la superbe Alpine A210 R.S., dont l'auteur nous est hélas inconnu.

Il y a aussi un petit nombre de projets d'étudiants en design qui parviennent à saisir "l'esprit Alpine" en le remettant au goût du jour, en se démarquant très nettement d'une pléthore d'autre projets diplômants souvent bien mal inspirés. On pense par exemple à l'Alpine Open'Back de Patrick Raoux, projet original et extrêmement abouti en termes de modélisation, mais aussi et surtout à l'Alpine Renault Revival d'Arseny Kostromin, qui fera sensation dès sa sortie.

Il n'est pas exagéré de dire que le projet de Kostromin, plus que tout autre avant lui, a véritablement ravivé, tant auprès des fans d'automobile en général que des Alpinistes les plus chevronnés, l'espoir d'un retour de la marque légendaire... et il y a fort à parier que le buzz n'a pas dû échapper aux décideurs de Renault, qui pouvaient de moins en moins ignorer la clameur des internautes. En s'adjoignant les talents d'un designer aussi inventif, prometteur et en phase avec l'esprit Alpine, Le Quément aurait pu mettre toutes ses chances de son côté pour transformer l'essai et relancer la légende Alpine, mais bien entendu cela ne dépendait pas que de lui (5). Toujours est-il qu'il partira hélas à la retraite sans avoir réalisé son rêve : faire renaître un peu de la légende de Jean Rédélé. Cela restera d'ailleurs son plus grand regret professionnel (6).

Quand l'Alpine renait du Dezir

Le retour du nom Alpine sur un modèle Renault ne se fera donc pas sous l'égide de son plus ardent défenseur, mais sous celui de son successeur, le Néerlandais Laurens van den Acker, transfuge de chez Mazda qui apporte un sang neuf à l'esthétique du losange. En présentant en 2010 le Z24 Dezir, le premier concept-car d'une série annoncée de six véhicules, Renault fait sensation : ce petit coupé hyper-sportif, entièrement électrique, dessiné par Yann Jarsalle sous l'égide d'Axel Breun, Directeur Concept et Show Cars de Renault Design, incarne parfaitement la passion automobile, avec sa livrée rouge vif et ses portes en élytres. Et bien entendu, beaucoup ne tardent pas à l'imaginer en bleu et à rêver d'une Alpine dont il serait annonciateur.

Et pour une fois ils ont raison ! Pour fêter les 50 ans de la Berlinette, Renault va créer la surprise en présentant, en préambule du Grand Prix de Monaco 2012, un prototype directement inspiré de la Dezir (et imaginé par la même équipe), baptisé tout simplement A110-50. Certes il est badgé Renault, et utilise la base technique de la Mégane Trophy, mais tout en lui évoque la marque dieppoise, depuis son nom de code ZAR (pour "show-car Alpine Renault") jusqu'à sa livrée bleue, en passant par le logo A110 identique à l'original, et bien entendu les projecteurs ronds de la face avant. Les mauvaises langues diront que l'A110-50 n'est qu'une Mégane Trophy recarrossée... mais Renault n'a pas l'intention de s'arrêter là. Rien n'indique évidemment à ce stade que Renault a l'intention de produire une nouvelle Alpine en série, mais le fait de lui rendre ainsi hommage est déjà énorme, et pourrait bien avoir valeur de test. C'est en tout cas l'espoir de tous les amoureux de la marque dieppoise...

Alpine revient, mais d'abord sur les circuits

Cet espoir d'une nouvelle Berlinette s'amplifie d'autant plus que Sandrine Hurel (députée PS de la 6ème circonscription de Seine-Maritime)  annonce le 2 novembre la signature prochaine entre Renault et les élus normands d'un contrat portant sur "la construction à Dieppe d'une voiture unique au monde en matière de projet industriel." Cette périphrase un rien sybilline peut s'interpréter de bien des manières, mais beaucoup y voient la confirmation que quelque chose se prépare...

Et c'est le cas. En 2013, la marque Alpine est officiellement de retour, mais en compétition, pas encore sur les routes. En effet, c'est officiel depuis le début du printemps : une nouvelle Alpine disputera le European Le Mans Series et les 24 Heures du Mans. Désignée tout d'abord sous le nom de code LMP2, l'Alpine-Nissan A450 est développée sur un châssis Oreca 03 avec un moteur V8 Nissan, et courra pour l'écurie Signatech. Outre le fait que l'association des noms Alpine et Nissan se justifie par l'utilisation d'un moteur du constructeur japonais, elle a pour mérite évident de faire pour la première fois exister le nom Alpine sans aucune référence à Renault. C'est un signal fort quant à l'indépendance de la marque dieppoise vis-à-vis du groupe automobile auquel elle appartient !

Même si elle ne gagne pas les 24 Heures du Mans, l'A450 se rattrapera bien vite en remportant le championnat d'Imola, puis en terminant deuxième des 3 Heures du Red Bull Ring en juillet. Elle remportera ensuite en septembre les 3 heures de Budapest, championnat européen d'endurance, donnant ainsi raison à tous ceux qui n'avaient cessé d'espérer un retour de la marque !

Visions d'Alpine

Deux ans plus tard, le 27 janvier 2015, Renault révèle l'Alpine Vision Gran Turismo à l'occasion de l'ouverture du Festival Automobile International de Paris. Cet éblouissant supercar GT (dans la digne lignée de la Mercedes Vision Gran Turismo qui l'a précédé) n'est pas à proprement parler une vraie voiture : présenté sous forme de maquette grandeur nature non roulante, il ne roulera jamais sur un vrai circuit, puisqu'il a été conçu pour s'intégrer virtuellement au célèbre jeu de course automobile Gran Turismo 6 de Sony Entertainment, lequel sort le 18 mars 2015, avec trois versions disponibles dans le jeu : une noire, une blanche, et bien entendu une bleue. On est toutefois bien loin de ce que pourrait être une Berlinette nouvelle génération.

Cette nouvelle Berlinette, on en aura un premier aperçu en préambule des 24 Heures du Mans 2015, sous la forme du premier concept-car Z31, baptisé Alpine Celebration, pour marquer les 60 ans de la marque fondée par Jean Rédélé à Dieppe. Cette fois, les formes générales, les détails stylistiques et l'esprit même du véhicule sont ceux de l'A110 originale. Même si l'ensemble regorge de détails propres à un concept-car, un modèle de série se devine très clairement, et le doute n'est désormais plus permis quant à la renaissance de la Berlinette ; la présentation le 16 février 2016, au Rallye de Monte-Carlo, du second concept-car Z31, baptisé Alpine Vision, confirmera bien entendu cette évidence : il s'agit d'un véhicule sportif élégant et racé, très proche désormais d'un modèle de série.

Ce modèle de série, désigné en interne AS1, aurait dû être commercialisé sous le nom d'Alpine A120, mais c'est finalement comme Alpine A110 qu'il sera dévoilé à l'automne 2016, ouvrant une nouvelle page de la légende dieppoise...

Stéphane BEAUMORT

 

(1) Le nom Renault Sport avait déjà existé dans les années 1970. Puis le Berex naquit à Dieppe de la fusion de Renault Sport 24 Heures du Mans et du bureau d'études Alpine.

(2) Certaines sources affirment qu'il y aurait eu non pas deux, mais trois prototypes distincts.

(3) Le Spider servira aussi de base à un autre concept-car, le Z08 Zo.

(4) il faudra attendre 2010 et les efforts acharnés de Michaël Barthly pour que des photos de la Z11 soient enfin révélées.

(5) Pour la petite histoire, Kostromin sera bien embauché par Renault pour son stage de fin d'études, et dessinera le Z52 Duster, premier concept-car de Dacia.

(6) Le Quément a quitté le monde de l'automobile et a fondé un studio de design au sein duquel il conçoit désormais des bateaux.