Renault Concepts
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Le Projet 106 : la future 4 CV

 

La 106E, premier prototype

Le second prototype

La maquette finale

 

L’histoire de la 4 CV, dont la production dépassera le million d’exemplaires, commence en février 1939 lorsque Louis Renault, accompagné de son directeur des études, Charles-Edmond Serre, visite le Salon de l’automobile de Berlin. Tous deux découvrent une voiture tout en rondeur, à deux portes, dont le moteur a été installé à l’arrière sous un drôle de capot en forme de langue. Présentée sous le nom de KDF : "Kraft durch Freude" (la force par la joie), celle que l’on appellera bientôt la Coccinelle est l’héritière d’un programme initié par Hitler lui-même. A sa sortie du Salon de Berlin, Louis Renault est impressionné mais rétif. A dire vrai, il laissera faire plus qu’il n’ordonnera les premières études d’une Renault populaire, la future 4 CV, même si celle-ci reprend les innovations qui ont frappé le patron : moteur arrière, propulsion, taille et prix réduits.

En 1939, Renault, troisième constructeur français d'automobile derrière (Citroën et Peugeot) assure 40% de la production de camions et demeure le premier groupe industriel de France. Hélas, Le 26 juin 1940, alors que la France est sous occupation, la direction des usines Renault est placée sous le commandement allemand. L’entreprise se voit alors interdite de tout nouveau projet automobile. Officiellement, les usines Renault de la France occupée n'ont le droit que de fournir à l'ennemi des véhicules utilitaires et de remettre en état les blindés Renault afin de les incorporer au sein des divisions Panzer.

Cependant, une poignée d’ingénieurs menés par Charles-Edmond Serre, chef du bureau d'études de Renault, Jean-Auguste Riolfo, et Fernand Picard, designer en chef, entament clandestinement une réflexion sur une voiture bon marché, de faible consommation et adaptée à la pénurie, la Renault de "l'après-guerre". En effet, Serre et Picard ont dès le début pour objectif de créer une voiture adaptée à l'après-guerre. Et qui dit après-guerre, dit pénurie. Ainsi, la 4 CV devra être économique, c'est-à-dire principalement à faible consommation, et bon marché, de sorte qu'un maximum de Français puissent en bénéficier. D'un point de vue technique, elle devra accueillir quatre passagers (conducteur compris) et rouler à 80 km/h avec un moteur à l'arrière. C’est ainsi que débute en 1941 le Projet 106.

Très vite, comme sur la Volkswagen, la solution du moteur arrière, gage d’une bonne habitabilité dans un espace restreint, est retenue. Le 7 février 1942 est mené le premier essai au banc d'un moteur 4 cylindres culbuté de 4CV. Le premier prototype, commencé dès 1941, échappe à la destruction lors du bombardement de l'usine Renault par la R.A.F. en mars 1942. Ce prototype, symétrique pour cause d'économies, est en aluminium, n’a que deux portes et est affligé d’un physique plutôt ingrat largement inspiré par les lignes de la Volkswagen « Coccinelle ».

Louis Renault avait d'abord donné son accord pour la réalisation du projet, mais lorsque la première 4 CV lui est montrée, il ordonne de cesser immédiatement son développement. Heureusement, les concepteurs de la 4 CV n'en font qu'à leur tête et poursuivent le projet, en cachette de Louis Renault lui-même, et surtout du prince Von Urach, héritier de la couronne du Wurtemberg, avait été placé à la tête des usines Renault par l'administration allemande puisqu'il avait dirigé avant guerre les activités de Mercedes en France et maniait le français sans accent.

En novembre 1942, le prototype sort de l'atelier n°153 du site de Billancourt, puis fait ses premiers voyages d'essai sur route le 6 janvier 1943 entre Billancourt et Meudon, atteignant avec son petit 760 cm3 une vitesse de 84 km/h à 5200 t/mn sur le plat. Il réussit même à grimper la difficile cote des Gardes (un dénivelé de 17%) à Meudon, en quatrième vitesse avec quatre personnes à bord (la voiture de série n’aura droit qu’à une boîte 3 vitesses).

Von Urach n'est pas dupe et interroge Picard sur un curieux engin peint en vert que l'on a vu passer à plusieurs reprises du côté du pont de Sèvres. Picard dément avec force et continue sans sourciller. Il faut rendre ici hommage au travail accompli par l'équipe de Charles-Edmond Serre durant les années d'occupation, et ce malgré les restrictions (notamment d'acier) et les précautions à suivre pour tenir le projet au secret. Pour l'historien Jean-Pierre Rioux, "la 4 CV sera quasiment une résistante, dessinée, conçue, fignolée et essayée dans l'ombre".

Le petit prototype dénommé 106 E est homologué par le service des Mines le 21 juin 1943. Malgré ces débuts encourageants, la fabrication de la 4 CV est ajournée en septembre 1943 en faveur de la 11 CV, désignée Primalégère (Projet 107 E), qui doit succéder à la Primaquatre. Malgré tout, un deuxième prototype de 4 CV, plus perfectionné et à la carrosserie totalement redessinée, est assemblé début 1944, mais il possède encore deux portes. Il sera au point quelques mois plus tard, en mars 1944, mais ne roulera cependant qu’à la Libération.

Les événements se chargent d'accéler l’évolution du modèle. Le 23 août 1944, Paris est libérée. Un centralien, Pierre Lefaucheux, est désigné administrateur provisoire des usines Renault, qui viennent d’être réquisitionnées par de Gaulle. Ayant réparé des chars et fabriqué des camions pour la Wehrmacht pendant la guerre, Louis Renault se livre a la justice le 23 septembre. Interné à Fresnes pour "commerce avec l'ennemi", il décèdera le 24 octobre à la clinique Saint Jean de Dieu à Paris, à l'âge de 67 ans. De nombreuses rumeurs circuleront quant à la nature réelle de son mystérieux décès, d'autant que la famille Renault, qui détenait 96% du capital de la société, est expropriée sans indemnités.

Pierre Lefaucheux est un fan des voitures Renault qui croit en la compagnie qu'on lui a confié. Dès sa prise de fonction le 6 octobre 1944, il saisit l’intérêt du projet 106, et tandis que l'on reconstruit les usines, détruites à 80% par les Alliés, il demande à essayer lui-même le second prototype chez lui, à Herqueville. Séduit, il fait toutefois rajouter deux portes à la voiture, sa grande taille l’ayant gênée pour accéder aux places arrières. Il donne l'ordre de continuer la construction de la 4CV et demande une amélioration du modèle.

La nouvelle Régie nationale des usines Renault (RNUR) est créée le 16 janvier 1945, mais le gouvernement stipule que malgré la nationalisation, la firme est libre d'agir comme n'importe quelle entreprise non-étatisée. Pourtant, les pouvoirs publics veulent intervenir de façon significative dans la répartition des gammes de véhicules chez les constructeurs Français. Ainsi, Panhard et Simca se rassembleront pour l'élaboration d'une petite voiture de moins de 6 CV, Peugeot fabriquera des voitures de 6 à 8 CV et Citroën s'occupera des voitures de 10 à 12 CV.

Mais où est Renault ? Renault n'est pas sur la liste; on a décidé en haut lieu, que sa vocation était de fabriquer des camions. Pierre Lefaucheux n'est absolument pas en accord avec cette décision: Il a tout ce qu'il faut sous la main à Billancourt: Le prototype de la 4 CV. Il obtient à l'arraché de Paul-Marie Pons l'autorisation de la construire. Renault est sauvé. Une publicité de 1945 affirmera d'ailleurs : "Renault, plus que jamais l'automobile de France".

Les essais se poursuivent donc avec le prototype n° 2, même si Pierre Lefaucheux, qui devient président du groupe en mars, n’a pas encore décidé laquelle, de la 4 CV ou de la 11 CV, sera le cheval de bataille de la Régie. Finalement, le 9 novembre, lors d’une conférence décisive avec les principaux responsables de la firme, son choix est arrêté : ce sera la 4 CV. Dans l’enthousiasme, Lefaucheux annonce la sortie officielle de la voiture pour le 1er juillet 1947 et parle de produire 300 véhicules par jour. Sa philosophie parle d'elle-même : "Il faut que disparaisse cette notion vraiment périmée de l'automobile objet de luxe restant l'apanage des privilégiés de la fortune et augmenter le bien-être général en mettant l'automobile à la portée du plus grand nombre."

Une semaine plus tard, le prototype n°3, à 4 portes, fait ses premier tours de roues. Le moteur de 760 cm3 autorise une vitesse de pointe de 90 km/h. Au printemps 1946, à l'initiative du ministre communiste de la production industrielle Marcel Paul et non sans ironie, c'est Ferdinand Porsche, géniteur de la Coccinelle emprisonné par les Alliés, qui est dépêché pour valider le Projet 106. A Billancourt, on n'apprécie guère l'arrivée de ce consultant, qui, du reste, ne trouvera pas grand-chose à redire. La 4 CV peut maintenant être commercialisée.

Pierre Lefaucheux a non seulement réussi à contrecarrer le plan Pons qui voulait interdire à Renault la fabrication de voitures, mais il est aussi parvenu à imposer le lancement de la 4 CV, une petite voiture populaire, contre l'avis des "barons" des réseaux Renault, lesquels souhaitaient conserver l'image de "constructeur de voitures de luxe" et espéraient le lancement d'une 11 CV. Seul point où Lefaucheux n'aura pas gain de cause : il veut baptiser la nouvelle voiture "Régine", "Réginette" ou "Régiquatre", mais les ouvriers de l'usine en décident autrement, et parviennent à imposer le simple nom de 4 CV. La suite fait partie de la légende...

 

Compilation de sites dont Renault , Renault Planète, Lycée P. Boulanger, Caradisiac, 4cv.net et Dirk Beauregard.

Fernand Picard

Le moteur 4CV

Le modèle de présérie

Réplique du second prototype, version finale