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Dauphine GT : le prototype de la Floride

 

La Dauphine Sport de Frua, présentée en 1956

 

La Dauphine Sport préfigure déjà la Floride

Dans la deuxième moitié des années 50, la sortie de la Dauphine suscite, comme l'avait fait en son temps celle de la 4 CV, l'inspiration des designers et des carrossiers. Les plus grands noms y vont de leurs coupés et de leurs cabriolets, notamment Chapron et Ghia. Mais s'il y a une Dauphine spéciale qui a déchaîné les passions, voire défrayé la chronique, c’est bien la Dauphine GT, appelée aussi parfois Dauphine Ghia, Dauphine Frua ou Dauphine Ghia-Aigle...

En 1956, un an après sa nomination à la tête de Renault, Pierre Dreyfus part pour les Etats-Unis dans le but de collecter de l'information. Fernand Picard, ancien assistant de Louis Renault et désormais directeur de recherches, est aussi du voyage. Dreyfus souhaite accroître la part de marché de Renault aux Etats-Unis, mais il comprend qu'il faudra sans doute concevoir des voitures spécialement adaptées aux goûts américains. En tant que directeur de recherches, il est normal que Picard l'accompagne afin de déterminer ensemble de visu ce que devrait être leur "américaine".

A mesure qu'ils visitent les différents concessionnaires américains et échangent avec des spécialistes du marché, un concept commence à émerger. Les Américains ont voulu une version sportive de la Volkswagen 1200, dite "Coccinelle", qui a bien marché outre-Atlantique. Ainsi est née la Volkswagen Karmann Ghia, qui a dopé du même coup les ventes du modèle familial (nuisant du même coup aux ventes de la Dauphine). Introduite en 1955, la Karmann Ghia, dessinée en Italie et fabriquée en Allemagne, ne coûte pas cher à produire. Les concessionnaires américains réussissent à convaincre Dreyfus du potentiel commercial d'un petit cabriolet, surtout auprès des femmes.

De son côté, Picard lui propose que Renault s'inspire de la philosophie de VW et fabrique une automobile uniquement pour le marché américain pour concurrencer à la Karmann Ghia. Il suggère d'utiliser la Dauphine comme base pour minimiser les coûts. Ainsi nait donc le Projet 1092.

Suite à la réussite de la Dauphine, dessinée par le même Ghia, Renault a pris peu à peu la mesure de l'importance croissante de la "culture design" italienne. Les voitures deviennent de vraies oeuvres d'art. Et alors que les carrossiers des années 20 et 30 avaient fait leur réputation sur des modèles uniques, ils appliquaient désormais leurs savoi-faire à des voitures de petite ou grande série. La réputation de Ghia s'est faite en grande partie autour de son patron et designer Luigi Segre, père de la Karmann Ghia. Plus que toute autre voiture, cette dernière a fait connaître le style italien et plus particulièrement Ghia au monde entier, avec un impact tout particulier aux Etats-Unis. Renault demande donc à Luigi Segre de dessiner un petit coupé à tendance sportive sur la base d'une Dauphine.

Dreyfus attend de Ghia une vraie sculpture roulante encore plus ébouriffante que la Karmann Ghia. Outre la réputation du carrossier et la réussite de la Dauphine qu'il a dessinée, le choix de Ghia est aussi motivé par son succès aux Etats-Unis. Quand Dreyfus rencontra Segre, il lui explique donc qu'il souhaite une voiture sportive qui pourrait plaire aux Américains. Segre accepte la commande, mais il commence à rechercher l'aide du designer américain Virgil Exner, Jr. sur le projet. Celui-ci réalise quelques croquis préliminaires et les envoie à Segre. Celui-ci les montre à son tour à Renault, qui lui donne le feu vert.

Fin 1957, Exner réalise les plans du nouveau modèle, qui, bien qu'italien, possède un attrait typiquement américain. La "1092" est radicalement différente de la Karmann Ghia mais son design est très plaisant et offre un grand potentiel commercial : en somme, une voiture vraiment européenne qui sera au goût des Américains. Segre transmet les derniers dessins à Giovanni Savonuzzi, designer en chef du studio Ghia. Celui-ci réalise un modèle en clay qui sera montré à Dreyfus et son équipe. Après approbation de cette maquette du projet 1092, Ghia est autorisé à construire un prototype.

Le carrossier italien fait à son tour sous-traiter le projet par Pietro Frua, qui a signé un contrat d'exclusivité avec Ghia en 1952 et a déjà proposé en 1956 un joli coupé Dauphine Sport (photos ci-contre) ; mais la réalisation du prototype est sujette à controverse : Virgil Exner, Jr. affirme en effet que c'est lui qui a conçu la voiture et que Ghia à ensuite construit le prototype et les 1000 premiers exemplaires avant même que Pietro Frua ne soit impliqué dans le projet ; la plupart des sources, néanmoins, s'accordent pour dire que c'est Pietro Frua qui a conçu et réalisé le prototype pour Ghia. Partant de la plate forme de la Dauphine dotée de ses point d'ancrage de suspensions. Frua réussira à dessiner et à faire assembler son prototype en quelques mois ; selon certaines sources, Frua aurait même construit deux prototypes.

Une fois le travail achevé, il contacte Renault pour plus d'instructions... en vain. Il faut dire que c'est Ghia qui est en contrat avec Renault, et non pas Frua, qui n'est qu'un sous-traitant. Hélas, Ghia ne donne pas non plus signe de vie, peut-être parce que le carrossier sait qu'il n'a pas encore payé Frua pour son travail. D'où une frustration compréhensible. Frua a consacré énormément de temps à construire les deux prototypes et nul ne semble vouloir, ni lui parler, ni le payer. Il décide donc de vendre son travail à un autre constructeur automobile en présentant sur le stand Ghia-Aigle (concurrent de Ghia) le modèle au Salon de l'Automobile de Genève en mars 1958, un événement européen important dans la profession, où les constructeurs présentent aussi leurs derniers concept-cars et leurs nouveau modèles. Frua baptise le nouveau modèle Dauphine GT.

Juste avant l'ouverture du salon au public, Pierre Dreyfus passe devant le stand de Frua et découvre le prototype Renault sous une bâche. Soumis à ses questions, Frua explique qu'en l'absence de tout signe de vie de Renault et de Ghia, il a décidé de présenter le cabriolet comme sa propre création. Luigi Segre, également présent sur place, est sommé par Dreyfus de trouver très rapidement une solution au problème, mais il est trop tard. Or tout le monde s’était mis d’accord pour que le véhicule ne soit révélé que quelques mois plus tard seulement, car il s’agissait là, ni plus ni moins, de la version presque définitive de la future Floride. Cette manoeuvre déchaîne les foudres des dirigeants de Ghia-Italie et de la Régie Renault, qui ne voulait présenter son nouveau modèle qu'au salon de Paris, à l'automne suivant, et n'apprécie bien sûr par vraiment ce règlement de compte. La relation houleuse de Pietro Frua avec Ghia s'achèvera finalement en 1962 avec un procès lié à la paternité du design de la Caravelle.

Quoiqu'il en soit, rebaptisée Floride, la Dauphine GT fait finalement son apparition sous la marque au losange au Salon de Paris en octobre et la production débute au printemps 1959. Longue de 4,26 m et reposant sur un empattement de 2,27 m, cette nouvelle Renault se présente trois formes : un coupé, une décapotable, et un modèle hard-top (un toit dur démontable que l'on peut laisser à domicile). Le moteur est le 845 cm3 de la Dauphine, poussé à 40 ch SAE (125 km/h) alors que la Dauphine Gordini plafonne à 37 ch. Pietro Frua a choisi d’élancer le modèle de la Dauphine, à l’avant et à l’arrière, pour créer le nouveau modèle.

Ce sera un vrai succès, avec 8000 commandes fermes en Europe avant même le début de la production en 1959. Cabriolet dessiné en grande partie en Italie et empruntant plate-forme et mécanique à la Dauphine, la Floride n'avait pourtant pas d'autre logique commerciale que de tester l'idée étrange qu'avec ce petit modèle, l'Amérique se mettrait à genoux devant Renault, idée défendue par quelques caciques de la Régie et un distributeur américain qui s'avèrera un piètre partenaire. Et s'il s'imposera finalement, et définitivement sur le continent européen, sans parvenir à séduire la clientèle d'outre-Atlantique, c'est en grande partie parce que la concurrence qui lui était opposée n'avait pas d'arguments à lui opposer, du moins au niveau prix.

 

Sources : Renault Caravelle, voilavoilavoila, Gazoline

Les photos de promotion de la Dauphine GT

Avec le journaliste automobile Jean Bernardt

Deux détails du prototype Dauphine GT