Renault Concepts
version 3.1
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Quand Renault ajoute une à sa collection...

 

P.E.R.L.E offre une visibilité inégalée grâce à son large pare-brise incliné.

De dos, P.E.R.L.E fait penser à une sorte de version monospace de la première Clio, qui n'est d'ailleurs pas encore sortie en 1989.

P.E.R.L.E fait sa première apparition à Francfort en 1987 sous la forme d'une maquette à échelle réduite.

Présentation officielle du vrai P.E.R.L.E à Genève en 1989. Il s'agit véritablement du premier "coupéspace"... dix ans avant Matra et son Avantime !

Chausson ne s'était guère aventuré dans le design d'automobiles propriétaires. La microcar CHS de 1947, que la marque essaiera en vain de faire commercialiser outre-Manche, en est l'exception.

 

Si Renault Histoire et Collections présente régulièrement un certain nombre de trésors dont elle a la garde à l'usine de Flins à l'occasion de salons et événements divers, il s'y trouve en revanche quelques prototypes et modèles rares qui n'ont pas cette chance ; soit ils ne sont pas considérés comme majeurs ou assez marquants, soit ils sont abîmés ou trop fragiles pour être exposés. Et si la grande majorité des véhicules entreposés à Flins sont clairement identifiés et répertoriés pour le grand public (voir la page dédiée à la Collection Renault), il reste toutefois quelques O.R.N.I. (Objets Roulants Non Identifiés), projets toujours secrets, expériences ratées qu'on aimerait oublier, ou bizarreries du genre inclassable. C'est sans nul doute à cette dernière catégorie qu'appartient le prototype qui nous intéresse aujourd'hui...

Cette histoire commence par une photo, partagée par un fan de Renault sur un forum, parmi un certain nombre de clichés pris à l'usine de Flins à l'occasion d'une visite de la Collection Renault. Contrairement aux autres photos, celle-ci montre l'avant d'un petit monospace en partie couvert d'un plastique de protection, et arborant un sigle mystérieux sur sa plaque : "P.E.R.L.E" Certes l'internaute demande bien à la cantonnade si quelqu'un saurait de quoi il s'agit, mais sa question restera sans réponse... Comme je suis naturellement curieux de percer ce genre de mystères, j'ai commencé à saisir dans mon moteur de recherches toutes sortes de requêtes incluant les mots "Renault", "P.E.R.L.E", "concept car", "show car", "prototype", "Flins", "collection", et que sais-je encore... mais rien. RIEN ne semblait exister sur le web qui fasse référence de près ou de loin à ce prototype typique du style de la deuxième moitié des années 80. Et ce n'est que deux jours plus tard, en cherchant tout autre chose, que j'aperçois dans mes résultats de recherche une photo de ladite voiture : même couleur, même sigle, pas de doute, c'était elle ! Pas étonnant que je n'aie rien trouvé auparavant pour l'identifier, puisque cette Renault... n'en était pas une ! Même pas une Matra, ce qui aurait semblé tout à fait plausible vu le style de véhicule et de design (j'avais cherché aussi)... Non, non. Ce prototype non roulant était bien un concept car, mais d'un constructeur français aujourd'hui disparu : Chausson !

Certaines marques ont la chance d'entrer dans la légende. D'autres, malgré leurs mérites, leur longévité et leurs réalisations, tombent inexorablement dans l'oubli. C'est le cas de la Société des Usines Chausson, fondée en 1907. Et si le produit le plus célèbre de la marque restera ses superbes autobus parisiens APU 53, on ignore souvent toute sa contribution à l'automobile française, en tant qu'équipementier, constructeur d'autocars après-guerre, puis comme sous-traitant des grands noms de l'automobile française : Renault bien sûr, pour qui elle assemblera des fourgonnettes Renault 4 F, des Estafette et des Trafic, ainsi que quelques coupés Floride/Caravelle, mais également Citroën et surtout Peugeot, groupe dont elle sera même un temps une filiale. Pourtant, la plus grande contribution de la marque, et pas des moindres, c'est l'invention de la carrosserie autoporteuse : le châssis-coque qui est aujourd'hui la norme dans l'industrie automobile. Mais s'il y a bien un domaine pour lequel Chausson n'est pas connu, ce sont ses designs propres. Et pour cause, car à par la brève aventure du Microcar CHS en 1947, le concept-car P.E.R.L.E est unique dans l'histoire de la marque, une tentative brève mais intéressante de faire la preuve auprès des grands constructeurs de ses savoir-faire.

La genèse de P.E.R.L.E (Projet d'Études et de Recherches d'une Ligne Européenne) s'est faite en deux temps. Tout d'abord il y a une maquette, présentée au Frankfurt Motor Show en 1987, qui définit déjà les lignes générales du modèle mais sans aucun détail intérieur ; puis, pour le salon de Genève 1989, un vrai concept-car grandeur nature est réalisé, doté de tous ses éléments mécaniques et de finition. Si le nom de la Société Anonyme des Usines Chausson (certes rebaptisé pour l'occasion "Chausson Automotive Engineering") n'a pas dû dire grand chose à une majorité des visiteurs et exposants présents à Genève cette année-là, on imagine sans peine que le prototype ne dut pas passer inaperçu.

P.E.R.L.E était un joli monospace de dimensions modestes (4,50 m de long, 1,7 m de large et 1,5 m de haut), très en phase avec le design de l'époque avec ses portes latérales coulissantes (vers l'avant, ce qui est très inhabituel) et ses très importantes surfaces vitrées conférant une vision panoramique à 360° à ses passagers, lesquels étaient assis tous trois de front, comme sur les Matra Simca Bagheera et Murena (un autre point qui rapproche un peu plus le design de ce véhicule des projets la célèbre marque de Romorantin). Et si les documents de communication le décrivaient comme "Ultimate European Research Vehicle", P.E.R.L.E possédait à dire vrai un indéniable côté américain, renforcé par ses optiques frontales à feux séparés et ses boucliers monoblocs assez importants. Les innovations étaient également technologiques : outre l'ABS, la boite automatique et la direction assistée, P.E.R.L.E pouvait s'enorgueillir de dispositifs de sécurité active et passive, d'un accès facile au bloc moteur 1.7 L (pris sur une Renault 19) grâce au pare-brise articulé ou encore d'un tableau de bord amovible intégrant le système de chauffage et la climatisation.

Alors, qu'espérait donc Chausson, à jouer ainsi dans la cour des grands, logé à Genève juste à côté de Lotus et en face du géant General Motors ? Certainement pas d'exister en tant que marque grand public. Non, il s'agissait plutôt d'une opération de communication à l'endroit de la profession, afin de se faire remarquer des grands constructeurs et de faire connaître ses savoir-faire comme carrossier, bien sûr, mais également (et c'était une gageure) comme concepteur, sur un marché où la concurrence était de plus en plus rude. En effet, entre Heuliez, spécialiste des variantes les plus diverses de modèles connus, et Durisotti et Gruau qui avaient réussi à se tailler la part du lion depuis quelques années, Chausson avait de moins en moins de contrats. Pour assurer l'avenir de la marque, il fallait donc frapper un grand coup !

Pour la circonstance, la marque avait donc (à l'instar d'Heuliez et son France Design), créé un service design, la Division Ingénierie Carrosserie Automobile, dirigée par François Renaud (photo), qui avait œuvré trois années durant sur le projet. On peut difficilement l'imaginer aujourd'hui, mais il faut se souvenir qu'à cette époque-là, les constructeurs français n'avaient pas encore intégré les notions de concept-car ou de show-car, et si Heuliez ou le belge EBS réalisaient pour les salons des versions spéciales, souvent des "one-shot" sans lendemains, les marques elles-même n'avaient pas encore pris l'habitude d'utiliser systématiquement chaque grand salon pour leur servir de vitrine technologique et stylistique. Quand P.E.R.L.E est présenté en 1989, Renault ne possède encore à son actif, mis à part quelques prototypes technologiques comme les VESTA, VESTA II ou E.P.U.R.E., que deux concept-cars : Gabbiano en 1983, et Mégane en 1988... c'est dire !

P.E.R.L.E fera une apparition furtive en 1991 dans le film futuriste de Wim Wenders Jusqu'au bout du monde, mais ensuite on n'en entendra plus parler. Il est vrai que les jours de Chausson sont comptés. La restructuration du groupe, tout au long des années 1990, donnera lieu à d'importants mouvements sociaux, provoqués par une logique d'alliance entre constructeurs automobiles décidée par les actionnaires, suivie du dépôt de bilan de l'entreprise en septembre 1993. De 1993 à 1995, trois plans sociaux conduiront au licenciement de 2 549 personnes et à la fermeture définitive du site de production installé dans la banlieue parisienne. Le nom Chausson survit aujourd'hui au travers d'une entreprise qui s'est spécialisée dans la réalisation de campings-cars.

Quant à la raison de la présence de P.E.R.L.E au sein de la Collection Renault de Flins, le mystère reste pour l'instant entier... Renault aurait-il hérité du prototype après la fermeture de Chausson, au prétexte qu'il utilisait un moteur du losange ? Est-ce que Chausson, se sachant sur le déclin, aurait revendu le design ainsi que le prototype à Renault ? Ou bien se serait-il agi d'un don gracieux pour rester dans les faveurs de la marque ? P.E.R.L.E est encore loin d'avoir livré tous ses secrets, mais vous pouvez être certains d'une chose : quand on en saura davantage, c'est sur le site RENAULT CONCEPTS que vous le lirez en premier !

Principales sources : prospectus Chausson P.E.R.L.E de 1990 et Wikipedia.

Ces deux vues montrent bien l'accès très facile à l'habitacle grâce à des portes coulissant vers l'avant et au coffre grâce au hayon.

P.E.R.L.E fait son cinéma en 1991... on l'aperçoit brièvement dans le film de Wim Wenders : Jusqu'au bout du monde.

P.E.R.L.E est aujourd'hui préservé dans la fameuse Collection Renault, à l'ancienne usine de Flins, juste à côté du concept-car Renault Mégane de 1988.

Le célèbre bus APU 53 de Chausson, ici restauré comme à l'origine et appartenant à l'AMTUIR.