Gaston Juchet, un homme posé et discret. Gaston Juchet durant son service militaire. Avec Jean Bousquet, patron de Cacharel. Visite d'un atelier avec un jeune ingénieur. Autour d'une ancienne maquette de la 4CV. Scrutant un prototype de Renault 11. Avec le célèbre designer italien Giugiaro. |
Il s'en est allé en novembre 2007, discrètement, comme il avait vécu... Gaston Juchet n'était pas l'un des designers fameux dont la liste des créations se déroule telle un tableau de chasse. Et pourtant sans lui, la plupart des Renault nées entre 1965 et 1990 n'auraient pas vu le jour ! Né le 1er septembre 1930, Gaston Juchet est déjà passionné de dessin alors qu'il est pensionnaire au célèbre Lycée Louis-le-Grand de Paris... et s'il se rêve déjà en designer, c'est encore dans le monde aéronautique, qui ne cessera d'ailleurs jamais de le fasciner. Il obtient son diplôme d'ingénieur à l'Ecole centrale de Paris et part presque aussitôt faire son service militaire. A son retour, Juchet frappe à la porte de la régie Renault et ses quelques dessins automobiles lui valent d'être aussitôt engagé à la direction Recherches et Développements comme ingénieur en aérodynamisme, où il mettra notamment au point le capot de la Caravelle. Il prendra la tête de cette direction en janvier 1962. Renault commence à plancher sur l'idée d'une berline haut-de-gamme, mais après une douzaine de prototypes réalisés, le projet 114 carrossé par Ghia s'avère bien vite trop coûteux, et il faut donc repartir de zéro. C'est le lancement en 1961 du projet 115 ou "Renault 1500" (qui deviendra la Renault 16). Bien que beaucoup attribuent à tort à Philippe Charbonneaux la paternité de la "R16" (alors qu'il n'en a élaboré qu'une version coupé, d'ailleurs rejetée par la régie), c'est Gaston Juchet, âgé alors de 31 ans, qui en est le véritable père, avec le concours d'un autre jeune ingénieur du nom de Claude Prost-Dame. En janvier 1962, Juchet a déjà quasiment figé ce qui sera la ligne définitive de la "1500", comme en attestent plusieurs croquis. De conception révolutionnaire pour l'époque, avec son hayon arrière totalement inédit combinant les avantages d'un break et d'une berline, ses lignes à la fois fluides et tendues, son confort et ses performances routières, la Renault 16 sera déclarée, peu après sa sortie en 1965, première "Voiture de l'année" par un jury international et deviendra une voiture emblématique et indémodable dans toute l'Europe et même au-delà. Pour Renault surtout, elle représente une avancée à tous les niveaux : premier pas vers le haut-de-gamme, première berline à moteur tractif, premier modèle modulaire - permettant d'emmener, une fois la banquette arrière enlevée, de volumineux objets - elle démode d'un seul coup tous les modèles qui l'ont précédée et impose du même coup un nouveau style, celui de Gaston Juchet, trop modeste pourtant pour jamais en tirer gloire. Une nouvelle usine a même été construite à Sandouville, en Seine-Inférieure (aujourd'hui Seine-Maritime) pour son assemblage. C'est sans doute en reconnaissance de cet exploit que Juchet sera nommé chef du Service Style Automobile dès juillet 1965, marquant de sa patte discrète une nouvelle lignée de modèles au losange : la Renault 6 d'abord, sorte de version nanisée de la R16, puis la Renault 12, énorme succès de la marque, et ses versions coupé Renault 15 et Renault 17. Plus encore que la Renault 12, le grand succès de Renault à l'époque sera bien entendu la Renault 5. Bien qu'elle soit due au crayon d'un autre designer discret de la marque, Michel Boué, Gaston Juchet contribue grandement au programme en reconnaissant les qualités du projet initial et en encourageant Boué et le reste de l'équipe de Style à améliorer le concept. Juchet contribuera personnellement à la modularité intérieure du véhicule et introduira l'usage des plastiques pour la planche de bord et les boucliers. Il n'y a que Dreyfus, le grand patron, qui croie en cette voiture, mais personne d'autre à Billancourt, et encore moins dans le réseau, n'envisage son succès futur... la suite leur donnera tort, et c'est encore à mettre au crédit de Gaston Juchet. Avec le rachat d'Alpine, Juchet aura aussi la lourde responsabilité de faire oublier la fameuse "Berlinette" et dessinera sa remplaçante, l'A310, apparue en 1973. Bien que n'atteignant pas la popularité de sa devancière, elle réussira à moderniser le concept et surtout à ancrer durablement la régie dans une image sportive qui lui soit propre. Il faut d'ailleurs souligner que le design de toutes les Alpine sportives jusqu'aux dernières A610 de 1992 découlera directement de celui de l'A310... Puis en 1975 apparaît une autre réalisation de Juchet, la Renault 30, héritière directe des lignes de la R16, qui ne parviendra pas à s'imposer réellement dans le haut-de-gamme du fait du choc pétrolier même si une version "allégée", la Renault 20, connaîtra dès l'année suivante un plus grand succès - sans toutefois jamais égaler ni faire oublier sa devancière. S'inspirant de la pratique américaine introduite en France par Chrysler, Renault créé en la même année un service de Style intégré. Robert Opron, qui a conçu les Ami 6 et 8, la M35, les GS, SM et CX pour Citroën, est débauché par Renault pour prendre la direction du tout nouveau bureau de style, avec pour mission de développer la créativité de Renault et, pour ce faire, d'essayer de s'affranchir de la tutelle des ingénieurs. Jusqu'en 1975, en effet, le bureau de style Renault était totalement assujetti à la branche technique de la régie. Le bureau de Style continuera d'appartenir au bureau d'études et reste placé sous l'autorité du directeur des Etudes mais sera désormais indépendant de la Carrosserie. Avec l'arrivée d'Opron et une plus grande latitude en termes de créativité, le recours à des stylistes et designers extérieurs prestigieux (Guigiaro, Bertone, Gandini, Held, Bellini, etc.) s'intensifie. Gaston Juchet reste, mais il se retrouve dès lors relégué au second plan. Il n'en continuera pas moins de travailler avec la même discrétion quasi-maladive et la même efficacité. En 1978, la Renault 18 succède à la Renault 12 ; c'est de nouveau Gaston Juchet qui l'a élaborée, même si ce n'est pas, et de loin, sa plus belle réussite esthétique. Le coupé sport Fuego qui en découlera sera d'ailleurs le fruit du travail d'Opron, et non de Juchet. Puis en 1981 sort la Renault 11, puis la Renault 9. Bien que dessinées par Opron, Juchet suivra aussi de près ces programmes. Le projet 129 qui vise à remplacer la Renault 30 est lancé vers 1979, et Juchet propose un très joli véhicule intitulé Bio-Aero. C'est ce projet qui l'emportera sur la Rafale de Nocher et Venet, et qui sous le nom de Renault 25, donnera enfin à Renault un haut-de-gamme digne de ce nom. Berline d'un genre unique, pas tout à fait tricorps avec son hayon de coffre et sa lunette arrière "bulle", la "R 25" innove surtout par un coefficient de traînée Cx de 0,27. Elle est d'ailleurs l'une des premières voitures conçues dès l'origine pour minimiser la résistance à l'air et diminuer ainsi la consommation (la version TS détiendra même brièvement le titre officieux de voiture de série la plus aérodynamique du monde). Aucune version trois volumes ne sera commercialisée, ce qui poussera le designer Sbarro réalisera avec l'aide de Philippe Charbonneaux une étrange variante V6 tricorps entièrement recarrossée qui sera rejetée par Renault (la régie interdira même toute référence au losange sur sa carrosserie). On retrouve néanmoins beaucoup de la Renault 25 dans la Renault Premier, une berline tricorps développée à Boulogne pour le marché américain et qui sera produite pendant deux ans après le rachat de Renault-AMC par Chrysler sous les noms de Eagle Premier et Dodge Monaco. Un joli coupé également produit à Boulogne pour le marché américain, la Renault Allure, ne dépassera pas le stade des prototypes. Au chapitre de l'aérodynamisme, sa grande spécialité, Juchet ira encore plus loin que la Renault 25 en dessinant les prototypes d'étude EVE et surtout VESTA. Le dernier prototype Vesta II, avec son coefficient de traînée record de 0,186, réussira à rallier Bordeaux à Paris par l'autoroute avec une consommation moyenne de 1,9 l. au 100 km. Ce record mondial n'a d'ailleurs jamais été battu à ce jour, preuve s'il en est du talent de Gaston Juchet. Juchet voit sa discrétion et sa fidélité à Renault récompensés lorsqu'il reprend en septembre 1984 la tête du design Renault, suite au départ d'Opron. Le Centre est alors structuré en quatre départements : deux studios pour le style extérieur, avec Michel Jardin et Jean-François Venet à leur tête ; le style intérieur, dirigé par Piero Stroppa ; et un secteur "diversification" géré par Jean-Paul Manceau. Désireux de donner une remplaçante à la mythique R4, Juchet n'a cessé de s'investir dans tous les projets de véhicules bas de gamme menés par la régie depuis 1969. Pourtant, les programmes R2, VBG, Z, X49, X44, X45 et X55 auxquels il a tant donné n'ont guère abouti... Mais n'étant pas homme à abandonner, son dernier projet pour Renault sera une petite voiture à la bouille sympathique développée sous le code W60, rejetée par le directoire de la marque et brocardée par les syndicats. Après le départ en retraite de Gaston Juchet en 1987 et un changement de direction salutaire pour l'entreprise, un certain Patrick Le Quément, recruté chez VW-Audi par Raymond H. Lévy, prend la tête du design Renault, et découvre, presque par hasard, le fameux projet W60 et les maquettes grandeur nature des projets de Gandini et Juchet. Enthousiasmé par les possibilités qu'ouvre ce véhicule, il choisit le second comme base de travail et confie au designer Jean-Pierre Ploué le soin de le remanier... ce sera la Twingo. Par-delà sa contribution gigantesque à l'histoire automobile française, Juchet introduisit également les méthodes modernes de maquettage Unisurf et la Conception Assistée par Ordinateur (CAO) dans le design Renault. Loin de tirer à lui la couverture, il prit soin d'attirer des talents éclectiques et cosmopolites au sein de l'équipe du Style, entretenant des synergies avec les grands noms du design italiens (Marcello Gandini, Giorgetto Giugiaro, Sergio Coggiola...) et le style de American Motors (Richard Teague) et faisant même appel ponctuellement à eux pour concevoir certains modèles. Sa contribution notable à l'essor du Design industriel, au travers de toutes les activités du groupe Renault (véhicules agricoles, camions, tondeuses, cycles, etc.) lui vaudra même le Grand Prix de l'Esthétique Industrielle en 1976. Gaston Juchet contribua à de nombreux ouvrages traitant de l'automobile et du design, à l'encyclopédie des métiers de l'automobile et se consacra aux travaux de documentation du Département Histoire et Collection de Renault. Même si cet aspect de sa carrière est moins connu, Juchet était un artiste passionné et éclectique qui s'intéressait tout autant au design qu'à l'art et à l'architecture. Membre de plusieurs associations (Peintres de l'aéronautique et de l'espace, Artist'Auto), il organisa des expos, peignit de nombreux tableaux abstraits magnifiques, des paysages en acrylique et en aquarelle, laissant, comme le dit si joliment l'auteur de WikiPedia, "libre cours à son imagination en créant de nouveaux langages stylistiques automobiles". Son talent et sa constance seront récompensés par le titre de Chevalier des Arts et des Lettres qui lui sera décerné en mai 1984.
Bibliographie :
Sitographie :
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L'une des premières esquisses de la R16. Février 1962 : le design est presque le bon ! La calandre se cherche encore... ... et un cabriolet est même étudié ! Deux études pour les Renault 15 et 17. La Renault 17 est une réussite esthétique. Une autre étude de coupé par Juchet. La Renault 30 rappelle bien ses devancières. La proposition de Juchet pour le programme VBG, avec ses portes à ouverture pendulaire. La proposition de Juchet pour la future Supercinq s'appelle... la "Voiture G" ! Études pour le projet 129, future Renault 25. En haut, la Rafale, et en bas, la Bio-Aero. La Bio-Aero était la proposition de Gaston Juchet pour le programme 129 (X29). La Bio-Aero rappelait tout autant la future Renault 25 que la Fuego, dont le design est pourtant attribuée à Robert Opron. La Bio-Aero sera retenue pour la future Renault 40, redésignée Renault 25... |